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Le blog de François Meunier

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Virés, renfloués ou explosés : les ploutocrates sont à la tête des entreprises américaines

Article publié le 16/11/2015

Patrick Turmel, un prof de philo à l’Université Laval au Québec, nous parlait récemment à Paris de la dérive des rémunérations des patrons des grandes entreprises, surtout aux États-Unis.

  • Les CEO des 350 plus grandes entreprises américaines ont touché un revenu (corrigé de l’inflation) qui a triplé en 20 ans et décuplé en 30 ans. Il s’établit à 17,8 M$ en moyenne aujourd’hui.
  • De 1978 à 2014, la progression de leurs rémunérations a été, avec 997%, le double de celle des rendements boursiers.
  • Sur la même période, ces patrons, qui font partie du fameux 0,1% dans l’échelle des revenus, ont vu leurs revenus croître deux fois plus vite que celles du reste du 0,1%. (Ceci doit intriguer Piketty : il n’y a pas que les patrimoines qui sont à l’œuvre, par les revenus qu’ils rapportent, dans l’inégalité croissante aux États-Unis : les gros salaires tout pareil, voire plus.)
  • L’échelle des rémunérations dans ces grandes entreprises américaines est passée d’un rapport de 20 : 1 en 1965 à un rapport 303 : 1 en 2014.

Une rhétorique habituelle est de dire : certes, c’est élevé, mais cela répond à une création de richesse hors du commun. Cela peut écorcher notre sens de la justice sociale, mais à tort : cette richesse rejaillit un peu sur tous, y compris sur les moins bien lotis de la société.

Vraiment ? L’Institute for Policy Studies, un think-tank de Washington, a mis sur pied un observatoire des hautes rémunérations chez les CEO des grandes entreprises aux États-Unis. Leur rapport 2013 a pour titre : « Bailed-out, Booted, Bust : A 20-Year Review of America’s Top-Paid CEOs”. Il détient un bout de réponse : de telles rémunérations témoignent-elles d’une valeur ajoutée sociale à due proportion ?

Le rapport distingue trois alors catégories :

  • Bailed-out (renfloués), ce sont les CEO les mieux payés, mais dont la société a dû être sauvée de la faillite sur fonds publics lors de la crise de 2008 ou bien qui a cessé d’exister.
  • Booted (virés), ce sont ceux qui ont été virés pour mauvaise performance, mais quand même les mieux payés (et qui ont touché, pour qu’on puisse s’en débarrasser en moyenne 48 M$ sous forme de parachutes dorés).
  • Bust (explosés) : ceux dont la société a dû s’acquitter d’amendes pour collusion, fraude décelée, type antidatage des stock-options.

Au total, ces trois catégories font près de 40% des patrons de grands groupes les mieux payés aux États-Unis. En voir les proportions sur le graphique qui suit :

On ne cherche pas ici à indiquer les pistes d’explication les plus courantes au phénomène. Mais mention peut être faite de la proposition de Piketty. Il proposait, avec ses coauteurs Emmanuel Saez et Stefanie Stantcheva, une solution simple : faire passer les taux d’impôt marginaux à 80%, une idée qu’a reprise assez maladroitement le candidat Hollande dans son cri de guerre « notre ennemi, c’est la finance ». La mesure ne ferait que revenir à ce qui prévalait aux États-Unis et au Royaume-Uni dans tout l’après-guerre, jusqu’à la « révolution » reaganienne et thatchérienne. Un tel taux, volontairement confiscatoire, aurait un effet radical : il ne serait plus intéressant pour les entreprises et pour les dirigeants de recevoir des salaires stratosphériques, sachant que les 4/5ème se retrouve dans la poche de l’État. La taxe n’est là qu’à des fins dissuasives, c’est-à-dire dans l’idéal, pour ne rapporter que des clopinettes à l’État : son rôle est de créer une convention, par laquelle il ne sert à rien, et donc il est inutile, de verser des salaires hors de proportion aux cadres d’entreprise.

Voir aussi :

Sur la taxation des très hauts revenus à 75 %. Un débat ouvert au sein du PS

F. Meunier, Vox-Fi, 14.3.12