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Le blog de François Meunier

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Taxis ! Vendez vos licences à Uber !

Article publié le 20/10/2015

Uber est là et promet de bousculer en profondeur la profession de taxi. Dans la pratique du métier, c’est une bonne chose, et on peut faire confiance aux taxis de savoir s’y adapter. Sur le patrimoine des chauffeurs de taxi, dont certains ont acheté très cher leur licence (la « plaque »), c’est beaucoup moins acceptable. Une solution est sur la table depuis un certain temps : multiplier le nombre des plaques et imposer une régulation qui oblige tout chauffeur, Uber ou pas, exerçant l’activité de transport de personnes en milieu urbain de façon régulière à acquérir lui aussi une licence. Voici comment.

Tout tourne autour de la plaque. Conçue à l’origine pour s’assurer de la qualité professionnelle du chauffeur, elle est devenue un efficace numerus clausus organisé par la profession pour garantir ses revenus. Comme la plaque est monnayable (selon d’ailleurs une entorse au droit public des concessions et licences), le seul moyen pour un postulant de devenir chauffeur de taxi est de racheter préalablement la plaque à un autre chauffeur, sauf à attendre une improbable émission de nouvelles plaques. Le prix de la plaque équilibre le rationnement organisé. On voit couramment des transactions autour de 240 K€ à Paris.

Faut-il abolir simplement le système des licences au nom de la concurrence et du bon sens ? En dehors d’être irréaliste dans le rapport de forces présent avec la profession, une telle mesure serait injuste pour les chauffeurs en place. Ils se sont souvent lourdement endettés pour l’acquérir et ils la considèrent légitimement comme le moyen, par remboursement de la dette d’acquisition, de se constituer un patrimoine retraite. D’un point de vue financier, la plaque est un formidable outil d’épargne : peu de ménages ont la chance comme les chauffeurs de taxi de pouvoir s’endetter sur base de leurs revenus futurs.

Face à ce dilemme, les autorités procèdent de façon subreptice et inefficace, espérant qu’un goutte-à-goutte de nouvelles licences n’ira pas fâcher les taxis. La montée constante du prix de la plaque rend tous les jours le problème plus insoluble. Et à présent, Uber est là !

Certains disent que c’est à l’Etat de dédommager les chauffeurs pour le préjudice subi en cas de libéralisation. Mais se ravisent devant un coût budgétaire estimé à plus de 4 Md€.

La finance offre pourtant une solution élégante à ce problème : chaque chauffeur en place recevrait gratuitement, pour chaque plaque qu’il détient, une nouvelle plaque. On en double donc le nombre, à charge pour chaque chauffeur de revendre la plaque émise sur le marché.

En première approche, ce doublement réduit environ de moitié le prix de chaque plaque. Mais le patrimoine du chauffeur reste (environ) inchangé : au lieu d’une plaque de 240 K€, il en détient deux de 120 K€. Plus précisément, si le marché ne s’accroît pas suite à la mesure, le doublement des plaques n’a pas d’impact patrimonial. Certes, la recette unitaire du taxi baisse de moitié, mais l’autre moitié lui reste en mains sous forme de capital.

On reconnaît ici un instrument bien connu des marchés financiers quand une entreprise procède à l’émission de titres de dette ou de fonds propres. Les investisseurs déjà en place ne veulent évidemment pas que cette émission nouvelle vienne réduire (« diluer ») la valeur des titres qu’ils détiennent si jamais elle se fait à un prix différent de leur prix courant. La nouvelle plaque n’est rien d’autre qu’un droit prioritaire de souscription, cessible sur le marché.

On ne peut se contenter de cette mesure. Certes, des taxis ou VTC plus nombreux poussent à l’abandon des moyens alternatifs de transport par un effet d’offre plus abondante. Mais il est de la responsabilité des autorités des grandes villes de développer encore les aménagements urbains pour une fluidité accrue des taxis, ce qui signifie empêcher la circulation du tout venant des voitures en centre-ville.

Et il faut une prudence d’exécution. La mesure doit se prendre avec l’assentiment de la profession et en pleine information du marché. Elle doit s’accompagner de la mise en place temporaire d’une caisse publique de rachat des plaques pour organiser une revente progressive des plaques, le temps que les Parisiens (par exemple) s’habituent à cette offre multipliée.

Pour aider enfin la transition sans faire exploser l’offre, une partie des plaques nouvelles sera acquise par des chauffeurs qui aujourd’hui exercent de facto l’activité de taxi, mais sans licence. La mesure, qui ne remet pas en cause le système des plaques et ses inconvénients, a en effet un gros avantage : le prix d’acquisition d’une licence étant plus bas, il devient possible de contraindre tout chauffeur, taxi, VTC ou travaillant pour Uber (ou tout autre site de partage) d’acheter une licence dès lors qu’il roule plus d’un certain nombre d’heures. Et qui serait le vendeur ? Un chauffeur de taxi en place ! On aura ainsi réglé la pénurie, créé près de 50 000 emplois à l’échelle nationale, désamorcé un conflit grave entre Uber et la profession, et rendu un fier service aux habitants des grandes villes.