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Le blog de François Meunier

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Les entreprises familiales sont-elles plus efficaces ?

Article publié le 20/10/2015

L’entreprise est-elle plus efficace quand elle est contrôlée par une famille, par le fondateur ou par ses descendants, plutôt que par des actionnaires industriels, financiers ou par un actionnariat éclaté via un marché boursier ? La surprise, pour qui veut se poser cette question, par exemple pour des motifs de gestion d’actifs et d’investissement, est que le sujet est assez peu étudié.

L’échantillon de comparaison doit être des entreprises comparables et non familiales, ce qui exclue les très grands groupes, dont la taille fait qu’ils sont rarement contrôlés par des familles (mais Walmart ou Cargill comme grandes exceptions). On se repose ici sur deux excellents articles : l’un de Marianne Bertrand et Antoinette Schoar (2006), l’autre de David Sraer et David Thesmar (2007), tous deux disponibles sur Internet et parues dans de bonnes revues.

On y trouve les deux jeux classiques d’argument, les « pour » concluant à une efficacité supérieure, les « contre » la mettant en cause, principalement sur des arguments à caractère culturel.

Pour

  • Les entreprises familiales ont des objectifs à plus long terme, et n’ont pas la myopie des actionnaires d’une entreprise à capital éclaté. En particulier, ils distribuent moins de dividendes.
  • Le lien familial est un lien de confiance qui permet à l’entreprise de fonctionner, notamment dans des environnements marqués par une gouvernance faible et une faible efficacité des contrats, typiquement dans les pays émergents. La famille est le substitut d’un environnement légal faible.
  • La famille offre aux dirigeants un bassin de talents faciles à recruter, notamment dans le cas où le métier est très spécifique et suppose une acclimatation dès le jeune âge.
  • La famille est un réseau et comme telle peut jouir d’un poids politique plus fort, cas patent dans beaucoup de pays émergents.

Contre

  • Les liens familiaux peuvent être la source d’inefficacité si les dirigeants en arrivent à mélanger les impératifs des affaires avec les questions familiales, introduisant alors des contraintes supplémentaires à la marche de l’entreprise. C’est le motif que relevait par exemple Max Weber dans son scepticisme bien connu vis-à-vis de l’entreprise familiale.
  • Le népotisme évidemment, par lequel le fils de famille n’est pas à la hauteur du père. D’une manière générale, le recrutement dans le vivier familial, s’il existe, entraine une perte de moral chez les cadres non familiaux qui voient leur progression hiérarchique limitée.
  • Le souci de maintenir l’intégrité familiale de l’entreprise peut nuire à son développement à long terme, par refus de lever des fonds propres supplémentaires qui viendraient diluer le pouvoir familial.
  • Enfin, le cadre légal intervient en matière successorale. Rien n’est parfait ici : les droits se rattachant au code civil napoléonien entrainent souvent une dispersion du capital entre de multiples mains rendant difficile le maintien d’une cohésion dans cet ensemble ; la règle de primogéniture qui prévalait jusqu’au 18ème siècle faisait porter le risque que l’ainé homme de la famille n’ait pas les capacités requises. Il faut dès lors distinguer les performances de l’entreprise du temps de son fondateur de sa vie après la disparition de celui-ci.

Que disent les données ?

La grosse majorité des études empiriques concluent assez massivement que les arguments contre l’emportent dans la plupart des pays : les entreprises familiales sont en général moins performantes. Une première exception toutefois : les entreprises gérées par le fondateur ont une performance meilleure que les autres entreprises comparables. Une seconde exception, selon Sraer et Thesmar, pourrait être la France, qu’ils étudient sur un échantillon de 1.000 entreprises cotées entre 1994 et 2000. Ils trouvent que les entreprises familiales (dont celles conduites par un fondateur) ont une profitabilité et une croissance plus fortes. Une des raisons qui ressort est qu’elles paient des salaires moindres. Comme, de façon surprenante, leur niveau d’endettement est le même et qu’elle verse moins de dividendes, elles sont capables d’investir davantage, ce qui implique une croissance plus forte. L’argument culturel selon lequel la volonté de limiter la dilution impliquerait un certain malthusianisme ne vaudrait pas.

Cela surprend l’observateur qui voit ce qui est arrivé en 2014 au groupe Alstom : son actionnaire Bouygues, un groupe familial, l’avait sevré de fonds propres parce qu’il ne voulait pas se diluer (il a tout fait au contraire pour accroître son poids au capital par le jeu d’offres publiques de rachat d’actions, privant ainsi le groupe de son cash-flow) et qu’il n’avait pas les moyens d’initier les augmentations de capital que la stratégie suivie imposait.