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Le blog de François Meunier

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Lettre du Chili n°1

Article publié le 08/10/2018

Bonjour à tous,

1er septembre 2016

J’ai la grande chance de vous compter comme ma famille ou dans le cercle étroit de mes amis. J’espère n’oublier personne. Dites-moi. Voici quelques petites nouvelles du Chili, que je vais renouveler de temps en temps. Du multimédia, vernis que vous êtes. Pour qu’on ne nous oublie pas trop, là-bas de chez vous.

***

 

§- Ce qui frappe presque en premier dans ce pays, c’est la qualité des fruits et des légumes. Il y a une toute petite boutique en face de chez moi qui en regorge, et qui en plus, à ce qu’on dit, est la meilleure de Vitacura, le quartier où nous habitons, Coralia et moi. Alors, je ne me prive pas. Comme Coralia ces temps derniers embonpointe un peu, plutôt en mal que en bon, je ne l’en prive pas non plus et lui concocte tous les soirs son petit menu. Hier soir : carottes (zanahoria) et oignons, et mangue-bananes en dessert. Avant-hier, artichauts. Les bananes chez nous, plutôt chez vous, à Paris, il faut les manger dans la fraction de seconde qui sépare le moment où elles sont vertes, et le moment où elles sont blettes. Pas vrai ? Ici, on les garde tant qu’on veut ou presque, et ça reste… des bananes. Et je parlerai une prochaine fois des paltas, c’est-à-dire des avocats.

§- La ville de Santiago n’est pas faite pour les vélos, bien qu’on en voie de plus en plus. Non que ce ne soit agréable de se promener en vélo au moins à Vitacura, quartier chic à l’est de la ville, aux belles avenues bien tracées. Tout simplement, le vélo n’est pas dans les mœurs. Oui, il y a bien des vélibs, sponsorisés par une grande banque locale, des pistes cyclables, la ville fait un vrai effort, mais on est loin du compte. Pour une raison de mœurs et de convention, il me semble. Au Chili, les automobilistes considèrent que la chaussée, c’est pour eux, point ! Les vélos ? sur le trottoir ! Ce n’est pas la gentillesse des gens qui est en cause. Ici, les gens sont très civiques. Ils s’arrêtent plus que volontiers pour laisser passer un vélo, si celui-ci, aussi sagement que le font les piétons, se soumet à traverser la rue au passage clouté. Mais rouler sur la chaussée, gare ! Les cyclistes intériorisent ça, à preuve qu’ils roulent sur les veredas (trottoirs), avec en plus casque, blouse fluorescente, feux qui clignotent… Il n’y a qu’une chose que le cycliste redoute plus que la voiture, c’est le vol, paranoïa ou pas, je vous dirai à l’usage. À Paris, le vélo commence à prendre le pouvoir, s’arroge le droit de circuler où il veut, culpabilise les voitures, use pleinement de son surplomb moral dans la lutte contre la pollution. Venant de l’anarchie parisienne, j’ai tendance à poursuivre mes habitudes, peut-être à mes dépens. La seule chose qui me chiffonnait à circuler à vélo dans Paris plutôt qu’en voiture, c’est que je libérais ainsi de l’espace sur la chaussée… pour rendre plus aisée la conduite de ceux qui gardaient leur voiture. Quand tout le monde roulera en vélo, ça sera cool de retrouver la voiture ! Bien-sûr, vous devinez que les piétons de Santiago ne sont pas contents de leur sort. Ça peut changer : j’ai lu que la maire de Providencia (Santiago la grande est partagée en communes (municipalidades), et Providencia est plus proche du centre historique) avait passé un arrêt punissant d’amendes les vélos qui iraient sur les trottoirs. Où iront-ils ? Il n’y a guère plus de motos. À Vitacura, quartier chic pour me répéter, les gens roulent dans de belles voitures, 4X4, marques allemandes et autres, mais aux heures pleines, c’est-à-dire assez souvent, la ville s’engorge et tout ce beau monde roule au touche à touche. Du coup, rien de bien inquiétant pour les vélos. Mais quand j’accompagne Coralia à l’école française, j’emprunte les trottoirs.

 

§- Mon beau-frère qui me lit m’a fait un cadeau ambigu pour mon départ : un polar d’un nommé Caryl Férey. Le titre : Condor. Remarquable dans le genre, une histoire horrible d’anciens de l’opération Condor et de la DINA dans le Chili d’aujourd’hui, mais un Chili post-pinochétiste pas beau à voir. Le livre n’est pas vraiment une invitation à venir y planter sa tente. Vous trouverez l’interview de Férey dans un blog tenu par un Français qui vit au Chili (« Carnets du Chili »). Le voici :

https://carnetsduchili.wordpress.com/2016/06/15/caryl-ferey-la-face-sombre-du-chili/

Le bouquin paraît incroyablement documenté. Le gars donne les noms effectifs des grandes familles patriciennes du pays qui ont trempé dans la dictature. Je suis surpris qu’il n’y ait pas des plaintes en justice. Manifestement, le gars n’aime pas le Chili d’aujourd’hui. Je vous dirai, mais pour l’instant, je ne vois pas du tout ça de cet œil. Il est pris d’amour pour l’Argentine, qui a probablement un meilleur tango. Pas sûr que le bouquin ait beaucoup de succès dans le pays. J’ai pas insisté pour que Paula qui me lit le lise.

 

§- Y’a une perle de musée à deux roues de bicyclette de chez moi, le musée Ralli, une collection privée constituée il y a longtemps par le banquier Ralli qui a fini sa vie en Amérique latine, pour je ne sais quelle raison, peut-être pour fuir le nazisme européen, ce qui est une assez bonne raison. Le musée met à l’honneur les peintres latino-américains. Voici le détail d’un tableau de 1949 d’Eduardo Sarlos, artiste uruguayen. Elle s’intitule « L’intrus », ce que je suis un peu.

§- Comment aurais-je pu résister à la pression conjointe de Coralia et de Paula : nous voici avec une petite chienne (perrita) de deux mois dans la maison. Nommée Clementina. Elle est mignonne, il n’y a pas de doute. Je la poursuis dans l’appartement avec sopalin et eau de javel pour nettoyer ce que vous devinez. Je la nourris et la fais boire aussi, et en tire l’impression qu’il sort davantage de matière que je n’en fais rentrer. Éviter le caca dans l’appartement oblige à une éducation ferme : on gronde et on met dehors (l’appartement que j’occupe avec Coralia a une petite courette/jardin en rez-de-chaussée). Mais elle pleurniche dehors, et un crétin de voisin est allé se plaindre du bruit au portier, ce qui m’ôte cette arme pédagogique. Le type plus haut tolère pourtant très bien le son de la radio ou de la télé. C’est ce genre de gars que Caryl Ferey a dû rencontrer au Chili.

 

§-  J’ai eu un prof de droit constitutionnel à la fac de Nanterre, Hugues Portelli, à peine plus âgé que moi. J’avais pris son cours en option, et je ne sais pourquoi, me suis retrouvé seul sur la liste d’inscription. Il aurait pu (ou dû) renoncer, mais il m’avait à la bonne, de sorte qu’il a maintenu l’inscription et qu’en guise de cours et d’examen, j’allais toutes les semaines passer une heure ou deux à parler d’institutions politiques dans son bureau. Drôle, sympa et brillant. Il avait déjà écrit un bouquin sur Gramsci, ce qui m’impressionnait. Il était socialiste mais a fait assez vite un bouquin un peu méchant sur Mitterrand et la gauche de gouvernement. Je ne sais si ce livre est la cause ou la conséquence d’une carrière politique brisée au sein du PS, toujours est-il qu’il est devenu sénateur centriste, et doit toujours l’être, certainement pas le pire des sénateurs de la république. Sa circonscription est autour de Ponteau-Combeau, en Essonne je crois, où ce grand garçon habitait encore chez Papa-Maman à l’époque de Nanterre, des parents d’un milieu ouvrier.

Bref, il commentait devant moi le coup d’État qui a mis à bas Allende. Il remarquait le défaut constitutionnel qui avait joué contre Allende : la constitution d’alors au Chili était assez calquée sur la française, avec un président tout à fait prééminent. Ne différait que le mode d’élection : à la majorité simple au Chili, alors qu’avec le mécanisme des deux tours, c’est une majorité absolue qui est requise en France. Du coup, Allende avait gagné avec quelque 32% des voix, de mémoire. Un soutien électoral très faible alors qu’il venait avec un programme de réformes très ambitieux : réforme agraire, de l’éducation, nationalisation du cuivre, etc.

Portelli ajoutait en riant (on était en 1974) : si Allende avait été Mitterrand, ça ne se serait pas passé comme ça. Je ne sais plus s’il sous-entendait que les réformes auraient pu passer avec un Mitterrand ou qu’elles auraient été oubliées.

 

§- L’autre dimanche, comme je l’ai déjà écrit à Pierre et Nathalie qui me lisent, promenade dans le Parque Metropolitano et ascension vers là où domine une gigantesque Vierge qui protège et couve la ville telle une Corcovada. Un jour splendide et chaud, malgré l’hiver. La Vierge jouit d’une vue formidable sur la ville, avec ces puissantes montagnes coiffées de neige qui l’entourent. Jugez un peu :

Plus nous nous élevons, plus apparaît une sorte de brume magnifique dans des teintes vieux rose très belles, que je n’avais pu constater dans le ciel que lors de très rares couchers de soleil. Ici, du moins en hiver, c’est quotidien, à toute heure du jour, à condition de monter un peu, ce qui est facile, sachant que les montagnes sont présentes à chaque coin de rue et qu’on peut toujours aller rendre hommage à la Vierge. Re-photo.

Cette couleur, c’est la pollution, mais qu’elle est belle ! À Paris, même quand on ascencionne Montmartre, les yeux n’ont pas la chance d’en profiter. Elle reste au-dessus. Et vue d’en-dessous, quand il y en a beaucoup, cela ne fait chez nous, hum, chez vous, qu’une sorte de couleur blanc grisâtre.

A prochainement.