SITUATIONS

Le blog de François Meunier

retour

Le SMIC est-il un instrument d’aide sociale ?

Article publié le 15/11/2015

 

Étonnante comparaison entre le Royaume-Uni et la France. Le Royaume-Uni se caractérise par une précarité extrême du marché du travail et un salaire minimum bas : 6,70 £ l’heure depuis le 1er octobre, avec une systématisation des temps partiels et des conditions de travail qualifiées de choquantes par la presse britannique pour de nombreux salariés au bas de l’échelle. La proportion de bas salaires est très élevée : 22  % des Britanniques touchent moins des 2/3 du salaire médian, soit moins de 19.000  € l’an. Un pourcentage bien plus élevé que la moyenne européenne (17 %) et qu’en France (6  %). Les salaires y restent 6% en dessous de leur moyenne de 2009.

Cela explique en partie un taux de chômage très bas (5,4%), mais aussi une dérive de l’aide sociale aux pauvres (via des crédits d’impôts), pauvres qui sont de plus en plus des travailleurs en activité mais pauvres. Le parti conservateur au pouvoir, pleinement libéré suite à sa récente victoire électorale des contraintes que faisait peser sur sa politique son ancien partenaire le parti libéral, a décidé un double mouvement : réduire drastiquement les aides sociales et en contrepartie augmenter significativement le SMIC, qui devrait atteindre progressivement la cible de 12,50 € en 2020. « Il n’est pas acceptable qu’on demande aux contribuables de subventionner, via ce système de crédits d’impôts, les entreprises qui paient les salaires les plus bas  « , indique George Osborne, le chancelier de l’Échiquier. Tout cela avec une brutalité toute britannique, qui a même provoqué la révolte de la Chambre des Lords appelée à se prononcer sur le projet : l’aide sociale est coupée tout de suite, la hausse du SMIC ne sera que progressive : +7% l’année prochaine (mais uniquement pour les plus de 25 ans). Le patronat se rebiffe, compare son pays à la France – horresco referens – de sorte que rien ne dit que le deuxième volet de la réforme, sur le SMIC, se fera pleinement. Et déjà, les calculettes sortent et montrent typiquement, comme le montre cet article de Martin Wolf dans le FT du 14 novembre 2015, que les bas revenus ne vont pas s’y retrouver : les 7 millions de ménages avec enfants, dont un des membres travaillent, vont perdre, entre la hausse du SMIC – si elle se fait pleinement – et la baisse des tax credits, la somme de 1.130 £ (1.614 €), ce qui n’est pas rien.

Les flux sont inverses en France : les salaires (charges sociales comprises) y sont élevés, particulièrement pour les travailleurs les moins qualifiés, et obligent l’État depuis maintenant deux décennies à adopter des politiques de réduction du cout du travail au profit des entreprises, par subvention (CICE) ou réduction de charges sociales au voisinage du SMIC, ceci afin de limiter l’effet de ce cout du travail élevé sur l’embauche. La forte baisse de l’euro depuis un an corrige partiellement cette image : le SMIC brut horaire est à 9,61€ en France, quand les 6,70£ font 9,40€ au Royaume-Uni au cours actuel.

Toujours est-il qu’il y a un fort contraste entre les deux pays : flux financiers de l’État aux ménages pour compenser des salaires bas au Royaume-Uni ; flux financiers aux entreprises pour compenser des salaires élevés (notamment pour les jeunes non qualifiés) en France. Et l’image en miroir va plus loin : les transferts aux ménages n’empêchent pas au Royaume-Uni le niveau de vie des moins favorisés d’être un des plus bas des pays comparables ; les transferts aux entreprises en France n’empêchent pas le cout du travail d’y être l’un des plus élevés des pays à productivité comparable, ce qui freine l’embauche, contribue à un taux de chômage élevé et oblige l’État à maintenir des aides sociales importantes aux ménages.

On pourrait retenir deux choses de cette comparaison. La première d’une grande banalité : la vérité est comme souvent à sa place habituelle, loin des deux extrêmes. La seconde provoque davantage de discussion sans être moins vraie : laissé à lui-même, sans protections spécifiques, le salaire des travailleurs démunis d’atouts spécifiques ne connaît d’autre limite à la baisse que ce qui est l’intolérable pour les personnes en question, et le seuil est très bas avant que l’intolérable ne soit plus toléré (voir à présent les mouvements sociaux au Royaume-Uni, chez notamment le célèbre Burberry). Ce qui est surprenant pour une économie libérale, c’est qu’il y ait tant besoin du SMIC ou de règles fixées par l’État central, c’est-à-dire au final d’une politique des revenus venue d’en-haut, pour mettre des garde-fous. Il est plus cohérent avec l’esprit de décentralisation propre à l’économie de marché que les abus soient évités par un renforcement du rapport de force au profit et au niveau même des travailleurs, c’est-à-dire, au sein d’un cadre légal approprié, par une plus forte capacité d’auto-organisation de ces travailleurs, entreprise par entreprise ou branche par branche. Cette capacité porte un nom depuis longtemps : trade union en anglais et syndicats en français. Les causes de la faiblesse du syndicalisme sont multiples, les coups de boutoir de l’époque Thatcher en Grande-Bretagne, l’irresponsabilisation et donc l’irresponsabilité chroniques en France figurant parmi ces causes. Il faut plutôt regarder l’Europe du Nord ou l’Allemagne pour trouver une image plus proche du juste milieu.