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Le blog de François Meunier

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La pauvreté aux États-Unis : état des lieux

Article publié le 17/01/2016

La Great Society du président Lyndon Johnson, venu au pouvoir après le décès de Kennedy en 1963, a été un immense projet, porté à la fois par le gouvernement et par la société civile. Cette période faste est la seconde étape, après l’ère rooseveltienne d’avant-guerre, dans la construction de l’État social aux États-Unis.

Le graphique ci-dessous fait figurer le taux de pauvreté parmi la population américaine selon trois classes d’âge : moins de 18 ans, de 18 à 64 ans, et au-delà de 64 ans. Il montre l’efficacité dont a fait preuve l’administration Johnson dans le recul de la pauvreté aux États-Unis, particulièrement pour les personnes âgées (notamment avec les programmes Medicare et Medicaid, mis en place à cette époque).

Il montre aussi que le début des années 80, début des périodes Reagan-Thatcher, a marqué au contraire un fort rebond de la pauvreté, à l’exception du cas des personnes âgées, le programme Medicare n’ayant pas été remis en cause. Et depuis lors, une stagnation tendancielle, avec des baisses et des hausses selon la conjoncture économique. La crise ouverte en 2008 marque un nouveau rebond des taux de pauvreté. (On rappelle qu’aux États-Unis le seuil de pauvreté est défini dans l’absolu en montant de dollars, quand il l’est en pourcentage du revenu médian en Europe).

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Source : US Census Bureau publishes a report with percentage of Americans living in households with incomes below the official poverty line. The most recent update is Income and Poverty in the United States: 2014 , by Carmen DeNavas-Walt and Bernadette D. Proctor (September 2015, P60-252).

Un autre regard sur ce phénomène de paupérisation croissante aux États-Unis vient d’un papier paru début novembre sous la plume d’Anne Case et d’Angus Deaton (le récent prix Nobel d’économie). Le titre dit froidement : « La morbidité et la mortalité croissante des Américains blancs non-hispaniques en milieu de vie ».

Voici le graphique centrale de l’étude. Il compare le taux de mortalité des personnes entre 45 et 54 ans aux États-Unis et dans 6 pays comparables. On note une violente résurgence de la mortalité aux États-Unis des Américains blancs non-hispaniques, alors qu’elle décroît très rapidement dans les autres pays et aussi pour la population hispanique du même âge (courbe marquée USH). On note avec déplaisir que la France n’a pas une performance exceptionnelle en niveau !

Que se passe-t-il ? Les auteurs la relient à une dégradation des traitements médicaux et à une augmentation corrélative des consommations d’alcool et de drogues, de suicides, de dépression et autres maladies mentales. Il ne s’agit ici ni des Hispaniques, ni des Noirs, ni des Américains-indiens, mais bien de la population « blanche » dont le taux de mortalité, autrefois le plus bas de la population américaine, rattrape et dépasse même dans certaines villes américaines celui dans Noirs. Les causes du phénomène restent largement à creuser, disent les auteurs, mais il est frappant pour eux que cette génération (qui vient juste après le baby-boom) ait perdu certains des repères passés, notamment la quasi-certitude que le sort sera moins bon que celui de leurs parents, que leurs retraites seront très basses (elles garantissent de moins en moins un revenu à l’âge de la retraite, étant soumises aux aléas des marchés, alors qu’elles restent largement à prestations définies en Europe), ceci se cumulant avec les effets de la crise économique et du chômage depuis 2008. Un autre graphique de leur étude est saisissant : le phénomène empoisonnement par drogue ou alcool / suicide est d’autant plus marqué qu’on part de l’est des États-Unis vers l’ouest…

L’Ouest, ajoute le rédacteur de Vox-Fi, où les geeks de la Silicon Valley dépassent à présent en opulence des traders de Wall Street, et où Apple réussit à accumuler 215 Md$ de cash à ce jour. On s’intéresse beaucoup aux 1% du haut ces derniers temps, mais les 10% du bas doivent aussi retenir l’attention. Il y a peut-être un lien.