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Le blog de François Meunier

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La convergence ratée entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest

Article publié le 25/01/2016

Pour bientôt le 25ème anniversaire de la réunification allemande, peut-on enfin dire que les Länder de l’Est ont rejoint, ou à défaut sont en passe de rejoindre, les Länder de l’Ouest ? Pour préciser, après quand même plus de 1,7 Tr€ de transferts publics, soit 70 Md€ par an? Est-on sur le modèle d’une intégration réussie (par exemple, le stupéfiant rattrapage de la Bretagne dans l’après-guerre français) ou d’une situation plus proche de ce que connaît l’Italie avec son Mezzogiorno ?

Dr Hanz-Werner Sinn, le très médiatique économiste outre-Rhin, connu pour ses positions anti-euro et anti-fédéralistes s’agissant de l’Union européenne, fait avec Gerlinde Sinn un constat accablant dans un billet récent de Vox-EU. Tout se lit sur le graphique qui suit, dont la lecture nécessite un peu d’attention. Il fait figurer, depuis la date de la réunification, certains indices comparatifs entre l’Est et l’Ouest. La référence est l’Allemagne de l’Ouest, au niveau 100 (trait noir sur le graphique).

Allemagne Est-Ouest

 

Chacun des indices retrace un aspect différent sur lequel on peut juger de la convergence : le PIB par tête hors Berlin Ouest ou pas, le cout salarial horaire, le revenu net par tête, y compris donc revenus personnels de transferts, d’aide sociale, etc. Cette première série d’indices a connu une forte croissance pendant les 10 premières années de la réunification, puis a progressivement ralenti, et désormais stagne ou évolue très lentement. Clairement, on est plutôt dans l’hypothèse Mezzogiorno.

Une autre série d’indices concernent les retraites légales par tête, en montant nominal et corrigés de l’inflation (plus basse dans l’Est, signe d’un dynamisme économique moindre). Ils sont supérieurs à l’Est et continuent à croitre. Mezzogiorno toujours.

Le phénomène est complexe, mais Dr Sinn met en avant une erreur stratégique majeure du gouvernement allemand, sous l’influence des lobbys patronaux : le taux de salaire à l’Est a été très fortement revalorisé et même parfois aligné sur celui de l’Ouest. Motif ? Ne pas permettre que des sociétés étrangères (les Japonais surtout, qui faisaient la terreur outre-Rhin à l’époque dans l’industrie manufacturière et dans l’automobile) viennent s’installer à l’Est en raison du bas coût du travail, et, sur base de leur technologie avancée et de la très forte culture d’ingénieur des Allemands de l’Est, viennent bousculer les grands groupes industriels de l’Ouest. Résultat, les coûts salariaux se sont dès 1995 établis à 75% de leur niveau très élevé de l’Ouest, de sorte que les investisseurs étrangers ont fui et sont partis quelques années après, avec l’ouverture des autres pays de l’Est, s’installer en Pologne ou en Slovaquie. Les seuls investissements l’ont été dans l’industrie lourde, par exemple le papier-carton, sur subsides publics (parfois supérieurs à 100% de l’investissement), mais malheureusement avec un contenu en emploi très faible. Si l’on n’avait pas à ce point dopé les salaires de l’Est, dit-il, l’économie aurait pu progresser rapidement et les salaires et l’emploi seraient aujourd’hui plus élevés qu’aujourd’hui.

La photo finale est cruelle : l’Allemagne de l’Est avaient 4,1 millions d’emplois manufacturiers avant la réunification, 920.000 aujourd’hui ; le taux de chômage est de 9,8% (5,8% à l’Ouest) ; l’émigration des jeunes vers l’Ouest se poursuit alors qu’il y a eu au total 1,64 million de personnes parties vers l’Ouest depuis 25 ans.

On devine la morale de cette histoire pour l’anti-fédéraliste radical qu’est le Dr Sinn : ne faisons pas la même chose dans la zone euro, les pays du Nord subventionnant la croissance économique des pays du Sud. Chacun chez soi, et les vaches seront bien gardées.