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Le blog de François Meunier

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Nouveau gouvernement Valls : Politique à droite ou politique adroite ?

Article publié le 04/12/2014

On peut résumer assez simplement le cadrage de politique économique du nouveau gouvernement Valls. [Repris du Monde du 1.9.14]

1- Primauté à la politique de l’offre, bien-sûr, selon la formule consacrée : la relance de l’économie et de l’emploi passe prioritairement par la restauration des marges des entreprises, de la compétitivité et la réduction des dépenses publiques plutôt que par stimulation directe de la demande des ménages.

2- Le diagnostic est celui d’une économie qui n’a plus les moyens de répondre compétitivement à une hausse de la demande. Conduire une politique de relance importante serait faire de la relance pour ceux de nos partenaires qui ne la font pas, c’est-à-dire aujourd’hui la totalité des pays de la zone euro. Elle n’améliorerait que secondairement l’offre productive française et nos échanges extérieurs. Elle obèrerait les comptes publics et dégraderait la perception de la solvabilité de l’État français sur les marchés financiers. Il y a une demande potentielle, notamment de l’étranger, si faible soit-elle, que les entreprises françaises ne sont plus en mesure d’assurer, faute de rentabilité et d’investissement. Le déficit structurel du commerce extérieur français, alors que nos voisins proches sont en excédent, en est un indice.

3- Une telle approche comporte un coût politique et un risque, parce que ses délais d’action sont sensiblement plus grands que ceux d’une action directe sur la demande, quand cette dernière marche. Il faut en effet dérouler toute la chaîne causale, celle décrite autrefois par Helmut Schmitt, ancien chancelier allemand : marges accrues des entreprises et donc investissement accru et donc offre plus compétitive et donc gain de parts de marché, en France et sur les marchés export, à chaque fois avec des incertitudes et dans le contexte d’une demande globale faible.

4- Ce n’est nullement la remise en cause de ce que certains appellent péjorativement le dogme keynésien. Le gouvernement prend enfin acte que l’ajustement dans la zone euro se fait malheureusement aujourd’hui de façon totalement dissymétrique : il porte de façon écrasante sur économies faibles de la zone euro, celles qui ont un fort déficit public et des marges de manœuvre incertaines, alors qu’il devrait idéalement être partagé entre les économies fortes de la zone, à commencer par l’Allemagne, qui devraient stimuler leur demande, et les économies faibles, qui doivent la restreindre. Ne faire l’ajustement que par le bas est meurtrier pour l’activité globale de la zone euro, qui se retrouve très en arrière des conjonctures américaines ou asiatiques (hors Japon) et fait porter sur la zone un sérieux risque de déflation. Si la France était l’Europe entière, maîtresse de sa monnaie, Arnaud Montebourg aurait raison, et une politique expansive, accompagnée de mesures sur l’offre, serait le bon dosage. Mais dans le cas français, la position de Montebourg, poussée à son terme logique, c’est de sortir de la zone euro, ce qui soulève un autre débat.

Wolfgang Schäuble, ministre allemand des finances, l’a dit efficacement : être keynésien, c’est faire une politique expansive quand l’économie est faible, mais aussi restrictive quand elle est forte. Or, l’économie allemande, vue isolément, est indubitablement forte. Il a raison, en effet, si l’Allemagne ne se sent liée en aucune façon au sort économique de ses partenaires. La divergence ne porte donc pas sur l’efficacité de l’arme keynésienne. Elle est politique et porte sur la volonté ou la réticence de l’Allemagne à se porter solidaire de la conjoncture de ses partenaires, y compris de leurs erreurs passées de politique économique.

Celle de François Hollande à sa prise de pouvoir est d’avoir annoncé pouvoir infléchir la position des Allemands à ce sujet. Il sous-estimait la perte de crédit de la France auprès d’eux. Si l’Allemagne devait rentrer dans des accords de solidarité croisée, ce ne serait au mieux que concernant le futur, et non pour effacer les erreurs passées. Le gouvernement français semble avoir pris en compte cette réalité.

5- Consolation, une politique de l’offre comporte une certaine part d’effets positifs à court terme. En cela, elle ne s’oppose pas nécessairement à une politique de demande. En effet, restreindre véritablement la dépense publique, au-delà de la politique « du rabot » utilisée en France depuis un certain nombre d’années, signifie réorganiser et restructurer l’offre de services publics. Cela passe inévitablement par des coûts de restructuration : il faut investir dans des technologies permettant des gains de productivité de l’administration (et donc éventuellement recruter), il faut dédommager les personnels qu’on licencie et les autres perdants, etc. Les restructurations qui adviennent dans les entreprises privées montrent l’importance que peuvent atteindre ces coûts. À un niveau macroéconomique, ces coûts deviennent des revenus distribués à d’autres agents.

6- De la même façon, une politique de l’offre consiste à lever les obstacles administratifs, réglementaires et les distorsions de marché qui sont un frein à la croissance. Cela s’appelle stimuler la concurrence, sur les marchés des biens et services, sur le marché du travail, sur les marchés financiers. Le sujet des professions réglementées en est un volet parmi d’autres. Or, la concurrence, en éliminant les rentes et les rémunérations excessives, en abaissant les droits d’entrée pour les nouvelles entreprises, réduit les prix et rend donc du pouvoir d’achat. En ce sens, elle joue directement sur la demande. Un pas important est franchi par la gauche politique : elle s’approprie la notion de concurrence et son pouvoir « égalisateur » par laminage constant des surprofits, le rôle de l’État étant alors de garantir, quand c’est possible, le bon fonctionnement des marchés, limitant ses interventions aux cas (nombreux) où c’est impossible.

7- Le facteur confiance est essentiel, mais joue de façon ambivalente. Si les ménages français, à l’écoute du discours de Jouy-en-Josas, reprenaient subitement confiance et piochaient hardiment dans leur bas de laine (leur taux d’épargne est un des plus élevés d’Europe), l’effet, dans la situation productive française présente, serait à double tranchant : hausse de la demande sans coût pour les finances publiques, mais évaporation du côté des imports. L’ordre idéal dans ce retour à la confiance est : entreprises d’abord, puis emploi, puis enfin ménages. D’où la nouvelle priorité, hormis les mesures en faveur des bas-revenus, sur les entreprises plutôt que sur les ménages.