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Le blog de François Meunier

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La BCE et son quantitative easing : tapis de bombes plutôt que missile

Article publié le 04/09/2015

On voyait mal comment un quantitative easing (à savoir l’achat sur le marché par la banque centrale d’obligations publiques et privées de bonne qualité) arriverait à frapper sa cible en Europe, c’est-à-dire à relancer la demande en zone euro et faire progresser l’indice des prix. Celui qu’a lancé la BCE le 22 janvier rattrape ce défaut par la puissance du feu et son onde de choc. Il rappelle plus les B52 que la frappe chirurgicale d’un missile. [Repris de Finance & Gestion, mars 2015] 

Si l’on suit l’exemple des trois autres pays ayant recouru à l’arme du QE (États-Unis, Royaume-Uni, Japon), son efficacité passe par trois canaux, le dernier avoué à voix basse parce qu’il frise le protectionnisme :

  • le canal des taux : faire baisser les taux longs et donc leur permettre de jouer sur la demande d’investissement ou de consommation de biens durables. La baisse des taux fait grimper aussi le prix des actifs, actions ou obligations, et donc entraine ce qu’on appelle un « effet de richesse », par lequel les ménages, voyant croitre la valeur de leur patrimoine financier, sont plus portés à la dépense.
  • le canal du crédit : permettre aux banques et autres institutions de libérer de la place dans leurs bilans pour faire du crédit.
  • le canal du change : la baisse des taux fait baisser l’euro, avec un effet inflationniste sur les prix, positif sur la compétitivité et donc les exports.

On peut être sceptique sur le premier effet, les taux étant déjà très bas. De plus, l’Europe, à la différence des États-Unis, se finance surtout par voie bancaire, moins sensible que le marché obligataire à la baisse des taux. Les effets de richesse y sont également bien moindres que là-bas, en raison d’un financement immobilier très différent. Précisons : les patrimoines financiers vont s’accroitre, mais la redescente en pluie fine sur l’économie réelle sera faible. M. Piketty appréciera.

Sur le second, on peut laisser le bénéfice du doute. La faiblesse du crédit en Europe semble davantage un phénomène offre que demande. De plus, racheter des obligations publiques ne libère pas beaucoup de fonds propres chez les banques, sachant qu’elles sont pondérées à zéro dans l’actif pondéré des banques, l’assiette de mesure des risques selon la règlementation bâloise. Il en va de même sur les ratios de liquidité. Seul effet : la hausse du prix des obligations permet aux banques de dégager des plus-values, et donc des fonds propres, sur leurs ventes de titres.

Le troisième est le seul qui joue franchement aujourd’hui, avec la dégringolade de l’euro, autour de 1,15 dollar pour un euro au début février. Elle advient dans une période où les matières premières, le pétrole en premier lieu, chute considérablement. De plus, son effet positif sur la compétitivité a tendance à favoriser les pays du sud de la zone euro plutôt que disons l’Allemagne, ce dernier pays montrant traditionnellement une forte inélasticité prix de ses exports. Comme toute dévaluation, c’est une subvention aux secteurs exportateurs, plutôt des pays du sud, dont la France, payée par les consommateurs de l’ensemble de la zone, dont l’Allemagne. Cela ne marche bien-sûr que pour autant que les partenaires commerciaux de l’Europe ne réagissent pas en retour.

Au total, un QE qui pousse sur un seul canal quand la FED, banque fédérale des États-Unis, poussait à plein sur les trois canaux. Mais un QE qui compense par la puissance de feu : plus d’un trillion d’euros engagés, ce qui est proportionnellement près de deux fois plus que l’opération américaine. Le B52 est chargé à bloc. Évidemment, il y aura des dommages collatéraux, notamment dans la distorsion sur les prix des actifs et par une extinction dangereuse de tout risque de crédit – et donc de toute surveillance – sous ce déluge de liquidités.

Notez qu’un débat qui faisait rage avant l’opération a disparu de l’attention du public. Les Allemands craignaient que l’opération cache une mutualisation des risques au niveau de la BCE et donc sur l’Allemagne pour sa part dans le capital de la BCE. Mario Draghi a été mesuré : 80% des obligations rachetées sont portées par les banques centrales nationales, seul 20% sur le bilan de la BCE. On est loin de faire de l’eurobond en cachette.